Le sujet de l’information voyageurs cristallise bien des frustrations. Chacun se souvient de celle des vacanciers pris dans la pagaille provoquée par la panne d’un poste de signalisation à la Gare Montparnasse, qui avait entraîné une paralysie du trafic en plein week-end de chassé-croisé estival en 2017. En écho aux nombreuses réclamations et récriminations des voyageurs, le rapport de la SNCF sur l’incident a confirmé que la préoccupation majeure de la compagnie ferroviaire avait été d’ajuster en permanence les plans de transport pour acheminer le plus grand nombre de passagers, au détriment de la cohérence des informations qui leur avaient été communiquées.

Cette situation illustre bien le poids de l’information voyageur (IV) dans la qualité de service, particulièrement scrutée puisqu’elle conditionne le ressenti qu’a le client du service de transport qui lui est offert. De fait, l’IV fait partie des aspects classiquement suivis dans les contrats d’exploitation de transport public[1].

L’information, un élément crucial de l’expérience client

Du point de vue du client, la mise à disposition rapide d’une information pertinente et cohérente est un besoin particulièrement criant, surtout en cas de situation perturbée. La question du vecteur (digital, diffusion sonore, écrans, agents sur le terrain) se pose autant que celle du contenu, avec bien évidemment des technologies en développement qui ouvrent de vastes perspectives, notamment pour la personnalisation. En s’appuyant sur le big data pour modéliser et prévoir les flux, il s’agit de concevoir des applications mobiles intelligentes capables de fournir de l’information prédictive et adaptée aux usages des clients.

Ce type d’enjeux se situe au centre de la compétition pour l’exploitation des données et la captation de valeur entre opérateurs historiques, autorités organisatrices et autres plateformes numériques. Il convient cependant de revenir un peu en arrière sur le chemin de l’innovation et de s’interroger sur la profondeur de cette vision client appliquée à l’IV.

En fait, elle apparaît nécessairement incomplète puisqu’elle occulte le cœur de métier d’exploitation, c’est-à-dire les dispositions prises pour adapter le plan de transport en cas d’incident.

 

Une lecture nécessairement transversale de l’information voyageur

L’exemple de la SNCF montre comment les enjeux liés à l’IV relèvent en fait d’un sujet par essence transversal car nécessitant de tisser un lien étroit entre le terrain (la cause d’un incident ou d’une perturbation), les centres de décision pour ajuster les plans de transport et, in fine, les agents dédiés à la communication à destination des voyageurs.

En effet, l’entreprise publique a lancé à l’été 2017, après la panne de Montparnasse, un programme transversal de transformation, « Information First », qui implique toute l’entreprise et qui touche à l’organisation, aux processus, aux outils et à la culture de l’opérateur ferroviaire.

 

Information voyageur

Afin d’améliorer l’information dans tous types de situations, et pas seulement lors des crises les plus importantes comme celle de Montparnasse, le programme poursuit plusieurs grands objectifs :

  • Améliorer la remontée d’information en impliquant les passagers : une appli collaborative de type Waze a été lancée pour partager les informations et les faire remonter aux centres de décision SNCF ;
  • Optimiser les processus de décision sur l’adaptation des plans de transport : les centres opérationnels de décision dans les plus grandes gares de France seront réorganisés pour améliorer leur performance en réduisant le nombre d’interfaces entre ceux qui détectent et diagnostiquent les incidents et ceux qui prennent les décisions de gestion du trafic ; la dimension IV sera intégrée dans ces centres de décision par la présence de managers dédiés ;
  • Se mettre en capacité d’anticiper la gestion des incidents et donc la communication à tenir vers les voyageurs et mieux coordonner les acteurs impliqués sur le terrain, notamment au niveau des gares, grâce à des scénarios écrits à l’avance pour les différents types d’incidents ;
  • Améliorer le partage des informations pour garantir la cohérence des messages délivrés aux voyageurs sur tous les canaux, en les connectant à une base de données unique ;
  • Définir des standards et développer des outils pour mesurer et piloter la performance sur l’IV[2].

Ces éléments ne sont que les pans d’une véritable révolution culturelle, qui traduit le changement d’orientation du produit vers le client vécu par la SNCF, ainsi résumé par l’ex-directeur général adjoint Mathias Vicherat[3] : « Avant, notre objectif principal était de faire circuler les trains. L’information aux voyageurs venait dans un second temps. Aujourd’hui, l’un ne va plus sans l’autre ; nous avons changé notre culture d’entreprise »

 

Partir du besoin client pour transformer l’organisation

Ce changement de paradigme participe de la translation en cours de la SNCF vers le monde concurrentiel. Dans cette perspective, nul doute que la logique de servicisation, portée par l’évolution des attentes des voyageurs-consommateurs, continuera à jouer à plein et restera l’un des facteurs clés de la transformation d’une grande maison établie comme la SNCF.

Le défi pour l’entreprise publique, comme pour les autres organisations confrontées aux mêmes enjeux, n’est pas seulement de s’adapter ponctuellement à un nouveau besoin identifié, mais plutôt d’instaurer une capacité d’adaptation permanente destinée à proposer des services en constante amélioration pour épouser les besoins des clients.

C’est justement un champ d’application idéal pour ancrer une approche par le design de service, pour innover à partir d’une compréhension fine des liens entre le produit, le service, le client et l’entreprise. Cette dernière sera ainsi en mesure de mener les transformations nécessaires dans son organisation pour délivrer une proposition de valeur différenciante à ses clients, avec dans la manche un atout non négligeable : quoi de mieux que de partir du besoin concret du client final pour éclairer le sens de la transformation et donc favoriser en interne l’acceptabilité du changement ?

 

Le design de service permet d’innover en concevant un service à la fois utile, utilisable et esthétique (désirable) pour l’utilisateur, le client ou l’usager, tout en étant performant et différenciant pour l’entreprise. Il s’agit d’une philosophie d’action visant à délivrer un service en constante amélioration.

 

[1] L’information voyageur est définie par la norme NF EN 13 816 comme l’un des critères de qualité de service. A titre d’illustration, IDFM suit régulièrement les résultats des opérateurs RATP et SNCF sur des indicateurs IV et prévoit pour ces entreprises un bonus jusqu’à plus de 9 millions d’euros annuels sur les indicateurs liés à l’information voyageur.

[2] On se situe ici sur des activités TGV, intercités, ouigo, qui ne font pas l’objet d’un contrat précis comme celui conclu avec le STIF puisqu’il s’agit soit de services commerciaux, soit de services pour lesquels l’Etat n’a pas, selon la Cour des Comptes, les moyens d’exercer réellement son rôle d’autorité organisatrice

[3] Interview au journal Le Parisien, juillet 2018 : http://www.leparisien.fr/economie/sncf-nous-avons-appris-de-nos-erreurs-31-07-2018-7838919.php